Présentation du rapport national sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement 2009

Rédigé le Lundi 31 Mai 2010 à 10:23 | Lu 6207 fois



Intervention de Monsieur Ahmed Lahlimi Alami, Haut Commissaire au Plan


Au moment où il souscrivait, en 1990, à l’engagement de réaliser les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) tels que fixés par la communauté internationale, le Maroc sortait à peine, après la crise de l’endettement, de la période difficile de l’ajustement structurel. Les indicateurs macro-économiques et financiers prenaient le sentier d’un relatif redressement, alors que le contexte social continuait à se dégrader avec son cortège, par moments violents, de contestations sociales et politiques.

La décennie quatre-vingt dix a été, dès lors, celle des bilans et des recherches opérationnelles de sortie de crise. Elle a été marquée par l’accélération de la libéralisation et de l’ouverture économiques, les réformes du secteur financier et un processus de mise à niveau du cadre juridique et institutionnel de l’entreprise. Elle a parallèlement connu un regain d’intérêt pour le développement humain et l’amélioration de la gouvernance. Une volonté d’ouverture politique a présidé au retour à un dialogue plus apaisé entre les gouvernants et les partis politiques, les organisations professionnelles et les associations de la société civile. Au terme de cette décennie, le Maroc continuait, cependant, à déplorer un lourd passif en matière de croissance et de développement humain. Le taux de croissance n’avait pas dépassé 3% en moyenne annuelle. Le taux de pauvreté continuait à s’accroître pour s’établir à 16,3% en 1998. Le taux net de scolarisation au primaire de l’ordre de 74% dans le milieu urbain, était plus de deux fois plus faible dans le milieu rural (36%) et de deux tiers parmi les filles (23%). Le taux d’alphabétisation dans la tranche d’âge 15-24 ans était encore en 1994 de 80% dans le milieu urbain, de 35% dans le milieu rural et de 17% parmi les filles dans ce milieu. L’accès à une source d’eau salubre ne concernait en 1995 guère que 81% des populations dans le milieu urbain et 14% dans le milieu rural.

A la faveur de l’avènement du règne du Roi Mohammed VI, le Maroc, héritant de ce lourd passif, a dû opérer une rupture significative avec un contexte historique longtemps marqué par l’insuffisante prise en compte de l’incompatibilité d’une politique de libéralisation et d’ouverture économiques avec des structures sociales largement traditionnelles et des valeurs culturelles conservatrices.

Le souci d’une croissance économique plus forte, d’une répartition sociale et géographique plus équitable des richesses, d’une participation démocratique plus active, dans le cadre d’une citoyenneté reconnue et assumée, devait présider, d’une manière explicite, à la volonté nationale de capitaliser les acquis et de dépasser les passifs cumulés au cours des périodes précédentes. Soutenue par un processus de réformes sociétales et institutionnelles, l’économie marocaine s’est résolument inscrite dans une démarche d’insertion active dans les chaînes de valeurs internationales. Le Maroc s’est ainsi attaché à mettre à profit les opportunités de son partenariat avec l’Union Européenne, et les bénéfices potentiels des accords de libre échange avec les Etats-Unis d’Amérique ou encore avec un nombre croissant de pays du Moyen- Orient et d’Afrique. En synergie avec les opportunités de la mondialisation et la valeur ajoutée qu’offre ce régionalisme ouvert, l’opérationnalisation de la politique de libéralisation et d’ouverture économiques, en rupture avec le mode de gestion antérieur de l’administration publique, a été, de plus en plus, prise en charge par des sociétés d’économie mixtes.

Celles-ci ont eu la vertu d’offrir un cadre plus dynamique, incitateur et sécurisant, pour de nouvelles formes de partenariat de l’Etat avec de multiples opérateurs du secteur privé, national et étranger, des collectivités locales ou encore, dans des cas spécifiques, de la société civile.

C’est dans ce cadre qu’ont été créés et se développent encore, à des échelles sectorielles et régionales, des pôles d’excellence économiques valorisant les avantages comparatifs du pays et les potentialités naturelles et humaines de ses régions. Sur la base de conventions dites « contrats-programmes » s’est, ainsi, déployé un processus d’investissement, en particulier, dans les infrastructures économiques, sociales, urbaines et rurales, et des branches d’activité à fortes valeurs ajoutées. La diversité régionale de ces investissements a stimulé la relocalisation de l’économie nationale et a contribué à la redistribution territoriale de l’emploi et des revenus. Elle a, ce faisant, offert à de larges franges de la population des opportunités nouvelles d’accès aux services sociaux de base. Le contenu de la croissance économique en a gagné en capacité de réduction des inégalités sociales et des disparités territoriales.

L’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH) a été, à cet égard, l’expression forte de la volonté Royale de faire du développement humain, à la fois une finalité et un facteur dynamisant du nouveau profil de la croissance. Revêtant, comme on le sait, la dimension d’un véritable chantier de règne, elle a été, de par sa démarche conceptuelle, ses modalités participatives de mise en oeuvre et ses méthodes plurielles d’évaluation, conçue par le Roi comme un cadre spécifique de promotion du progrès social et, en l’occurrence, de réalisation des Objectifs du Millénaire. En conformité avec sa finalité, les actions programmées, dans ce cadre, visent l’amélioration des conditions de vie de la population par le développement des infrastructures sociales et l’incitation, au niveau des unités géographiques de base, à la création de petits projets générateurs de revenus au profit notamment des jeunes et des femmes. Au service de ce modèle de développement et, au besoin avec l’effet de levier dont l’apport incombe, en vertu de sa mission spécifique, au Fonds Hassan II, les investissements publics nourris par les ressources de l’Etat et des collectivités locales se sont inscrits dans une politique budgétaire soumise à l’obligation d’une veille permanente sur les équilibres fondamentaux du cadre macroéconomique, et ce, malgré un contexte où la croissance a été, tout au long de la décennie, tirée par la demande intérieure.

A six années de l’échéance de 2015, les performances du Maroc, tant en termes économiques qu’en termes de développement humain, le prédisposent ainsi à être l’un des pays en mesure, à cette date, de réaliser les OMD.

C’est une réalité confirmée aussi bien par les analyses du Haut Commissariat au Plan que par l’appréciation de plusieurs personnalités des Nations Unies. Les données statistiques en fondent la crédibilité.

La comparaison entre les deux dernières décennies montre, en effet, que la croissance économique est passée d’une moyenne de 2,2% à 4,4%, et, hors secteur primaire, de 3,0% à 4,8%. La demande intérieure s’est accrue de 5,1% en moyenne annuelle au lieu de 2,4%. Le taux d’investissement global est passé de 24,8% en 1999 à 32,6% en 2009. Le taux du chômage, de son côté, a reculé de 13,8% en 1999 à 9,1% en 2009 avec, cependant, un taux encore élevé parmi les diplômés de l’enseignement supérieur. La dépense de consommation finale des ménages a enregistré une hausse de 4,3% par an en moyenne et, depuis 2003, de 5,6%. Avec une progression annuelle du revenu par habitant de 4,3% et des prix à la consommation de 1,9%, le pouvoir d’achat s’est amélioré de 2,4% par an. Par ailleurs, l’accès des populations aux services sociaux de base a connu un rythme plus accéléré. S’il est déjà généralisé en milieu urbain, en milieu rural, l’accès à l’électricité est passé de 9,7% en 1994 à 83,9% en 2009 et à l’eau potable de 14% à 90%. Dans le secteur de l’enseignement, le taux net de scolarisation des enfants de 6 à 11 ans est, par ailleurs, passé de 52,4% à 90,5% au niveau national. Il a presque triplé en milieu rural et quadruplé parmi les filles qui vivent dans ce milieu. De ce fait, le rapport fille/garçon dans l’enseignement primaire est passé de 66% à 89% et l’indice de parité a plus que doublé en milieu rural. Aujourd’hui, le programme d’urgence adopté par le gouvernement dans ce domaine devrait réduire les déperditions scolaires, améliorer l’accès au préscolaire et contribuer de son côté, à la baisse du niveau d’analphabétisme en particulier dans le milieu rural et à une plus grande valorisation des ressources humaines.

Enfin, l’espérance de vie à la naissance est passée de 65,5 années en 1988 à 72,9 années en 2009. Cette progression constitue un indicateur des progrès réalisés en matière de nutrition et de santé publique. La relative diminution du taux de mortalité maternelle et infantile qu’anticipent les résultats préliminaires de l’enquête démographique (END), constituerait, à cet égard, le marquage d’une plus grande efficience de l’encadrement sanitaire des populations.

D’une façon générale, l’amélioration du revenu disponible des ménages a bénéficié à toutes les catégories sociales et plutôt aux classes modestes et aisées et, bien qu’en moindre proportion, aux classes moyennes. Le taux de pauvreté relative est, ainsi, passé de 16,3% en 1998 à 8,8% en 2008. Pour la première fois, le Maroc a réalisé une croissance propauvre et stabilisé le niveau des inégalités sociales.

Au rythme de ces performances, une évaluation par la méthode des projections préconisée par le PNUD prévoit que le Maroc sera en mesure de réaliser les OMD à l’horizon 2015. La démarche qu’adopte le HCP, de son côté, se basant sur l’élaboration des modèles économiques privilégie une évaluation plus globale de la capacité des politiques publiques à atteindre ce résultat. C’est dans cette démarche que s’inscrit le modèle d’équilibre général calculable dynamique développé par cette institution en collaboration avec Monsieur Rob Vos du PNUD et avec le concours de l’expertise pointue de Monsieur Hans Lofgren de la Banque Mondiale. Ce modèle simule, en effet, l’impact des politiques publiques en faveur des secteurs sociaux sur l’économie marocaine, notamment les équilibres macroéconomiques, et sur les niveaux de réalisation des OMD, en particulier ceux relatifs aux domaines de la pauvreté, la santé, l’éducation, l’eau et l’assainissement. Il permet ainsi d’appréhender les rapports dialectiques entre ces objectifs et les synergies qu’elles entretiennent avec les différents compartiments de l’économie nationale. Il permet également, d’approcher les complémentarités entre les dépenses qui leur sont affectées et d’en évaluer le niveau de leur optimisation. A la lumière des résultats issus de l’ensemble de ces travaux, il se confirme que, dans une hypothèse

de prolongement des tendances actuelles, le Maroc, moyennant une plus grande vigilance dans sa gestion économique, serait en mesure d’être au rendez-vous de 2015. Il s’avère, en effet, qu’en raison des niveaux élevés des ressources déjà affectées aux secteurs sociaux, cette gestion devrait gagner en efficience avec la cohérence des programmes sectoriels, la préservation de la stabilité du cadre macro-économique et la sauvegarde de l’impérative solvabilité des finances extérieures.

Une plus grande compétitivité des entreprises et un appui plus actif de la coopération internationale sont, à cet égard particulièrement requis. Il n’est pas inutile de rappeler, concernant cette dernière, qu’elle doit s’inscrire plus résolument dans le cadre de l’engagement des pays développés au titre du huitième objectif du millénaire relatif précisément à l’aide internationale au développement.
Les pays en développement ne devraient pas, du reste, manquer de les interpeller avec force sur cet engagement, lors du sommet des Chefs d’Etats que se propose d’organiser le Secrétaire Général des Nations Unies en septembre 2010. Plusieurs de ces pays ne seraient pas, en effet, en mesure d’atteindre les OMD sans un apport substantiel de l’aide internationale, d’autant plus qu’ils ont subi de plein fouet les effets de la crise que vient de connaître le monde. Le Maroc, lui-même, malgré la relative résilience de son économie aux effets de cette crise, sans précédent, n’en a pas moins perdu selon nos analyses 0,9 point de croissance du PIB en 2008 et 2,4 points en 2009 et devrait continuer à en subir les répercussions au cours des années à venir.

D’une façon générale, personne, aujourd’hui, n’est en mesure de dire avec certitude l’ampleur et la durée des effets de la crise internationale, ni évaluer son impact prévisible sur l’économie réelle des pays développés et encore moins sur les conditions de vie dans les pays en développement. Ce qui est par contre évident, en termes de prospective, c’est que les sources d’accumulation des richesses et des profits devraient, dans tous les cas, connaître une nouvelle hiérarchisation de leur priorité dans les investissements à l’échelle internationale. Les énergies renouvelables, l’environnement, l’économie du savoir, la réduction des inégalités, les intégrations régionales seraient appelées à être les nouveaux moteurs de l’économie mondiale. Ceci risque d’approfondir davantage les inégalités entre pays développés et pays en voie de développement.

Aussi, par delà les OMD, le Maroc peut-il se féliciter de la volonté de son Roi d’engager une nouvelle génération de réformes et de projets pour inscrire le développement du pays dans les perspectives d’évolution prévisible des économies développées. La création du Conseil Economique et Social avec des prérogatives en matière de planification stratégique, la régionalisation avancée appelée à transformer le paysage institutionnel du pays et la dynamisation de son développement économique et social, en parallèle avec la promotion de nouvelles sources d’énergie et de croissance verte, sont déjà autant d’expressions fortes de cette volonté Royale. Après avoir résorbé ses déficits sociaux, le Maroc présente, ainsi, l’image d’un pays déterminé à édifier le modèle futur de son développement économique et social.

Au terme de cette présentation, il est pertinent de remarquer que la richesse des débats auxquels a donné lieu le rapport national sur les OMD et l’intérêt qu’il a suscité dans plusieurs secteurs de l’opinion publique, procèdent, en fait, de cette analyse globale qui a présidé, comme c’est la norme, à son élaboration et à sa présentation. La qualité de ces débats ne fait, en revanche, que ressortir la faible capacité des indicateurs composites tels que l’IDH à produire, en raison de leur contenu réducteur, autant d’impact sur la nécessaire sensibilisation des citoyens aux multiples enjeux du développement humain.